L’histoire


Culture du maïs par des Iroquois
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Historique du peuplement

Jusqu’à la période industrielle et la construction d’un réseau de communication terrestre, la navigation était le moyen privilégié pour se déplacer dans le bassin versant. La position stratégique de la rivière Richelieu en a fait le second cours d’eau en importance de l’histoire du Québec, après le fleuve Saint-Laurent. Les premières populations du territoire du bassin versant de la rivière Richelieu se sont donc installées principalement sur les rives de celle-ci. Il est important, pour mieux comprendre la façon dont le bassin versant a progressivement été occupé par l’homme et ses activités, de bien saisir le rôle central de la rivière Richelieu au cours du temps (Filion et coll., 2001).

Les Amérindiens

Le premier peuplement du bassin versant de la rivière Richelieu a eu lieu à la période de l’Archaïque laurentien  (4 000 à 2 000 ans avant J.-C). Cette période est caractérisée par une véritable occupation du territoire : camping saisonnier, construction de barrages pour la pêche, boucanage des peaux, confection d’outils, etc. La période suivante, l’Archaïque postlaurentien, chevauche celle de l’Archaïque laurentien. Même si elles se confondent sur 500 ans, il s’agit de deux traditions archéologiques bien distinctes.

La période de l’Archaïque postlaurentien (2 500 ans à 1 000 ans avant J.-C.) est marquée par le développement préhistorique des populations aujourd’hui considérées comme les ancêtres des Iroquois. La chasse est le principal moyen de se nourrir et l’outillage de cette période est plus détaillé et plus stylisé que celui des Laurentiens. Jusque vers l’an 1 000 après J.-C., les proto-Iroquois demeureront principalement des chasseurs de gibier, mais la pêche prendra graduellement une plus grande place.    Les Iroquois connaîtront entre l’an 1 000 avant J.-C. et 400 après J.-C. une période très dynamique connue comme le Sylvicole inférieur. Cette période est principalement marquée par l’intégration de la poterie, une forte croissance démographique et des conduites de deuils élaborées. La seconde tranche du Sylvicole, le Sylvicole moyen, connaît aussi de grandes transformations. Elle s’étend sur près de 15 siècles, de l’an 400 avant J.-C. à l’an 1 000 après J.-C. L’utilisation des mêmes endroits pour camper, l’innovation dans l’outillage (lithique et osseux) et des attitudes funéraires qui révèlent que la mort est devenue un voyage vers l’au-delà marquent cette longue période. Finalement, durant le Sylvicole supérieur, se manifestent les premières expériences agricoles, une sédentarisation plus importante, la présence de l’horticulture et la division des sexes dans le travail.    À cette époque, ce sont surtout les Iroquois qui peuplent les rives de la rivière Richelieu. Cependant, vers 1570, une guerre éclate entre les Iroquois et les Abénaquis. Les Iroquois furent forcés de s’établir plus au sud sur les rives du lac Champlain. À la suite de leur départ, les Abénaquis s’installèrent dans le bassin de la rivière Richelieu (Filion et coll., 2001).

L’arrivée des premiers Français

Lors de ses voyages sur le fleuve Saint-Laurent (1534-1541), Jacques Cartier rencontre plusieurs villages iroquois aux emplacements des futures villes de Québec et de Montréal. Près de 70 ans plus tard, lorsque Samuel de Champlain explore la rivière Richelieu jusqu’aux rapides de Saint-Ours (1603), il n’y a plus aucune trace de vie humaine le long de la rivière Richelieu, probablement en raison des raids iroquois fréquents. À cette époque, la rivière avait d’ailleurs comme toponyme le nom de rivière des Iroquois (Filion et coll., 2001). Au fil des ans et des cartographes, le Richelieu prendra également les noms de rivière de Sorel et de Chambly.

En 1609, Samuel de Champlain s’allie aux Montagnais, Hurons et Algonquins pour faire la guerre aux Iroquois. Ils remontent alors la rivière Richelieu jusqu’au lac Champlain (d’ailleurs, ce dernier sera le premier blanc à explorer). L’expédition est un succès, mais cette bataille est la première d’une guerre qui opposera les Iroquois et les Français jusqu’en 1701, menaçant ainsi la colonie et retardant son essor. Tout au long du 17e siècle, les Iroquois poursuivront leurs incursions guerrières par la voie de la rivière Richelieu, mais en visant dorénavant les établissements français.

 

En 1635, le triangle circonscrit par les rives du Saint-Laurent, de Sorel à Montréal, et la rivière Richelieu jusqu’à Chambly, faisait partie d’une seule seigneurie appelée La Citière, laquelle était concédée à François de Lauzon de Liret. En 1665, pour protéger les colons français face à la menace iroquoise et pour assurer le commerce de la fourrure, le régiment Carignan-Salière est envoyé par Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV. C’est grâce à ce régiment qu’aura lieu la construction de plusieurs forts le long du Richelieu (le fort Richelieu à SorelTracy, le fort Saint-Louis à Chambly, le fort Sainte-Thérèse au nord de l’île du même nom, ainsi que les forts de Saint-Jean, à Saint-Jean-sur-Richelieu et de Sainte-Anne, sur l’île Lamothe [Vermont] à l’entrée du lac Champlain). Ce réseau de forts aménagés allait par la suite favoriser le transport de troupes et de marchandises sur la rivière (Filion et coll., 2001).

En 1667, à la suite d’une expédition en territoire iroquois par le marquis de Tracy, un traité de paix est signé. Ce traité permettra à certains officiers et soldats de s’installer dans la région alors que les autres retournent en France. À partir de 1672, Louis XIV concède, par l’intermédiaire du premier intendant Jean Talon, des seigneuries relativement vastes, mais peu nombreuses, le long des rives du fleuve Saint-Laurent et de la rivière Richelieu. Ces terres (Sorel, Saint-Ours, Contrecœur, Chambly), attribuées à d’anciens officiers du régiment de Carignan-Salière, sont découpées en immenses quadrilatères dont la base est perpendiculaire au fleuve Saint-Laurent. Il faudra attendre 1694 pour que six seigneuries supplémentaires (Saint-Denis, Saint-Charles, Rouville, Belœil, Cabanac et Cournoyer) soient concédées sur le cours d’eau de la rivière Richelieu entre Chambly et Saint-Ours (carte A.5).

Jusqu’à la fin de la suprématie française en Amérique, la rivière Richelieu prit de plus en plus d’importance. En effet, pour les Français, elle fut une route majeure pour l’accès à la NouvelleAngleterre et aux territoires iroquois. D’un autre côté, la rivière Richelieu joua un rôle important dans les stratégies militaires anglaises visant à envahir le Canada sur trois fronts, c’est-à-dire par le haut Saint-Laurent, le Richelieu et le golfe du Saint-Laurent.

Les invasions britanniques et américaines

Le changement de régime amène aussi des changements dans la gestion des terres par les seigneurs. En plus de prélever des taxes aux censitaires, les seigneurs gèrent leurs terres comme des exploitants et des industriels, ce qui signifie que leurs propriétés doivent rapporter financièrement. Ceci favorisera la construction de villages, lesquels engendreront des revenus plus élevés pour les seigneurs. De ce fait, la population du bassin versant augmentera significativement. La sédentarisation de plusieurs coureurs des bois qui choisiront de se tourner vers la culture de la terre contribuera aussi à l’augmentation de la population. Cette croissance démographique s’est surtout produite dans la section aval du bassin versant (le Bas-Richelieu). Au début du 19e siècle, alors que les terres se font plus rares, des colons vont émigrer vers le sud pour peupler la portion amont du bassin versant (le Haut-Richelieu).

Le 18 juin 1812, les États-Unis déclarent la guerre à la GrandeBretagne en réaction à son pouvoir dans le contrôle du commerce maritime et son aide à la résistance amérindienne. Dans le bassin versant, les Britanniques érigent des blockhaus (Île-aux-Noix et rivière Lacolle) et des casernes (Chambly et Blairfindie, sur la rivière L’Acadie, à Saint-Luc) pour contenir les incursions américaines. Après quelques tentatives infructueuses et après avoir été repoussés par les troupes anglaises, canadiennes et amérindiennes, notamment au sud de l’Île-aux-Noix, les Américains abandonnent leur projet de conquête du Canada. Malgré la fin de la guerre en 1814, les Anglais et les Américains fortifient leurs frontières. De leur côté, les Américains construisent le fort Montgomery à Rouses Point (État de New York) alors que les Anglais construisent le fort Lennox sur l’Île-aux-Noix.

Plusieurs événements de la rébellion des patriotes (1837-1838) ont eu lieu dans le bassin versant de la rivière Richelieu. Plusieurs rassemblements politiques se sont déroulés sur le territoire en 1837, entre autres à SaintOurs, Chambly, Napierville, Saint-Athanase et Saint-Charles. Par la suite, la libération de deux notables à SaintJean marqua le début des conflits armés en 1837. Il s’ensuivit les batailles de Saint-Denis et de Saint-Charles contre les Britanniques. Ensuite, en 1838, la République du Bas-Canada est proclamée à Caldwell’s Manor (Noyan) puis à Napierville. Enfin, la rébellion des patriotes se termina le 9 novembre 1838 devant l’église d’Odelltown (au sud du village de Lacolle) et par la prise de Napierville.

L’économie

La présence de la rivière a nettement contribué au développement économique du bassin versant. En effet, les fournisseurs du roi pratiquaient le commerce du bois (vers le chantier naval de Québec). Au début du 18e siècle, l’économie de la région s’est réorientée à la suite de l’importante crise du commerce de la fourrure et des guerres entre les Français et les Anglais. La baisse du commerce de la fourrure a laissé la place à l’essor de l’agriculture. De même, la forte présence militaire dans la région permet la construction d’une flotte fluviale dans le Haut-Richelieu et le ravitaillement des soldats devient un des principaux axes de croissance économique. Dans le Bas-Richelieu, l’économie locale est surtout axée vers le cabotage et l’agriculture qui doit fournir la nourriture nécessaire à la population militaire occupant les différentes fortifications.

Vers la fin du 18e siècle, l’utilisation de la rivière Richelieu en tant que voie commerciale se confirme. Les exportations de foin, de blé et de bois sont acheminées par bateaux aux États-Unis en transitant par la rivière Richelieu. À l’époque, le transport naval est le moyen le plus économique pour expédier des marchandises. Sur la rivière, les ports de Saint-Ours, Saint-Mathias, Chambly et surtout Saint-Jean sont les plus importants et permettent le commerce ainsi que l’introduction de marchandises dans le bassin versant.

En 1826, le pont Jones (en bois et payant) reliant Saint-Jean et Iberville est construit, ce qui permet l’accès aux deux rives toute l’année. Dix ans plus tard, en 1836, les échanges économiques avec New York et Boston sont facilités par la construction de la voie ferrée entre Saint-Jean et La Prairie. Par la suite, dans les années 1840, Saint-Jean devient le plus important port intérieur de l’est du pays. En 1843, le canal de Chambly est ouvert et l’écluse de Saint-Ours le sera en 1849, permettant ainsi la navigation sur toute la longueur du Richelieu.

L’accroissement du transport maritime sur la rivière Richelieu se poursuit jusqu’au début du 20e siècle (tableau A.4). Toutefois, la construction de nouvelles voies maritimes (canal Érié), ferroviaires et routières, permet aux marchands de diminuer leur dépendance envers la rivière.

En 1939, des travaux de dragage sont entrepris entre Saint-Jean et le lac Champlain. Ils seront suspendus en 1940 à cause de la Seconde Guerre mondiale. On constate alors que ces travaux s’avèrent moins utiles que prévu, puisque cette voie est vouée au déclin. Par la suite, dans les années 1970, les dernières barges empruntent le Richelieu, car le gouvernement fédéral classe le canal de Chambly en tant que lieu historique, donnant du même coup une vocation touristique au site (Filion et coll., 2001).

L’agriculture

Dès les débuts de la colonisation du bassin versant, l’agriculture s’avère un des piliers de l’économie. Cette vocation agricole serait due à la qualité du sol, propice à l’agriculture, et au mode de vie des premiers colons. Suite au défrichement intensif du Bas-Richelieu au début du 18e siècle, le sol est fin prêt pour la culture. Par contre, les colons doivent adapter leurs techniques à un sol et à un climat local très différents de ceux de la France. Ainsi, les terres argileuses et humides permettront la culture du blé, dominante jusqu’au 19e siècle avec près de 60 % des terres cultivées, suivie par la culture des pois, laquelle occupera environ 15 % des terres.

Les mauvaises récoltes causées par l’appauvrissement du sol à la suite de la culture intensive du blé, jumelées à la concurrence des États-Unis et du Haut-Canada, amènent les agriculteurs de la région à réorienter leur production. Pour combler les importants besoins de foin pour les chevaux des habitants de la ville de New York et les besoins de l’industrie laitière de la région, plusieurs cultivateurs de la vallée du Richelieu s’orientent vers la culture des plantes fourragères, comme l’avoine. Plus tard, au milieu du 19e siècle, les industries laitières et d’élevage deviennent les principales activités économiques de la région. Enfin, l’essor de l’agriculture, combiné au développement du réseau de transport des marchandises, sera un des moteurs de la croissance économique de la vallée du Richelieu.

Sorel-Tracy et son centre industriel à l'embouchure du Saint Laurent.

L’industrialisation

L’industrialisation commence au début du 19e siècle à Saint-Denis (poterie). Elle se déplace ensuite vers Chambly et Saint-Jean. La présence de nombreux ouvriers dans ces villes bien établies favorise cette industrialisation. Notons que la première industrie électrifiée du Canada voit le jour à Chambly en 1899. Le courant fort des rapides de Chambly permet à Samuel T. Willet d’y construire un barrage hydroélectrique pour alimenter ses usines. À partir de la Deuxième Guerre mondiale, la ville de Sorel-Tracy, avantagée par sa position géographique, est utilisée comme centre de ravitaillement entre Montréal et Québec.

Sorel-Tracy devient un centre de construction navale où 20 000 travailleurs œuvrent dans le domaine de l’armement durant la Deuxième Guerre mondiale. À Saint-Jean, la présence de deux compagnies importantes, la Moses Farrar-Isaac Newton Pottery et la St. Johns Stone Chinaware, fait en sorte que la fabrication de poterie et de céramique blanche devient une activité économique considérable. Parmi les autres villes du bassin versant, les activités artisanales telles que la chapellerie, la poterie ou la coutellerie constituent la base de l’économie.